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14 - Morale et bonheur

            Le bonheur individuel et dans la société ?

Amour et connaissance.

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    Nous n’avons pas la prétention de donner une recette du bonheur. On ne construit pas son bonheur avec une recette ou avec des principes. Cependant, l’expérience m’a appris que chacun est en grande partie responsable de son bonheur, et que certaines attitudes mentales peuvent être un obstacle au bonheur.

    Depuis plus de quinze ans, je suis en contact avec de jeunes enfants, entre 3 et 10 ans. Je constate que certains enfants sont presque toujours joyeux, alors que d’autres expriment fréquemment des ressentiments,  de l’agressivité. Bien sûr la situation familiale conditionne en grande partie l’attitude des enfants. Une famille où les parents sont solidaires, unis, souriants, évitent les conflits, sont attentionnés à leurs enfants, cette famille là est génératrice de bonheur. Mais il y a parfois des circonstances qui compromettent le bonheur : la maladie, un échec professionnel, la présence d’une personne tiers qui envahit l’espace (la belle-mère, souvent !). Il faut alors composer avec l’échec ou prendre des décisions d’exclusion. Pour nuancer ma réflexion précédente, je dois affirmer que des grands parents intelligents et discrets peuvent jouer un rôle très positif dans la famille de leurs enfants et petits enfants. Et j’en connais.

    Dans l’article 12 du blog, « La recherche du bonheur », nous avons évoqué les deux principes inséparables qui pourraient nous guider vers le bonheur : Amour et Intelligence

Ces deux principes sont inséparables l’un de l’autre. Il n’y a pas de bonheur sans amour. Mais il n’y a pas de bonheur sans l’intelligence de la connaissance. Cependant, (selon Bertrand Russel dans « Wy I am not a christian », p.51) des deux principes, l’amour est plus fondamental. (Il rejoint là le message de Jésus).

    Le mot « amour » est équivoque. Il recouvre chez chacun de nous des intentions qui ne sont pas toujours claires pour nous-mêmes. « Faites l’amour, pas la guerre » était le slogan des années 68. Il est évident qu’ici, le mot « amour » se rattachait probablement à la pratique d’une simple copulation, comme la pratiquent les bonobos. Une pratique qui semble efficace dans une société aussi élémentaire que  celle d’une population animale primitive. La société humaine doit-elle s’inspirer de la société bonobo pour trouver le bonheur ? Certains voudraient s’en contenter. Encore qu’on puisse trouver chez les bonobos des attitudes morales beaucoup plus subtiles

    L’amour est ce qui nourrit notre bonheur. Mais il est fréquent, dans notre vie de tous les jours, que notre recherche d’amour se heurte à l’incompréhension ou à l’hostilité de ceux avec lesquels on voudrait partager notre amour. Il est fréquent, aussi, que nous soyons nous-mêmes peu portés à l’empathie, à cause de douleurs ou de handicaps physiques. L’intelligence nous incite parfois à renoncer à aimer. Lorsque, après un temps plus ou moins long, parfois des années, on a tenté d’établir une relation sinon affective, du moins amicale, et qu’on s’est heurté à un refus permanent, il devient raisonnable de renoncer.  Car il n’y a de véritable amour que dans un amour partagé. Et il est vrai également que le partage de l’amour n’est jamais établi définitivement. Il ne subsiste que dans un échange intentionnel réciproque et durable. Peut-être l'amour durable est-il utopique. Il s'est exprimé fréquemment dans la littérature et dans les légendes: Tristan et Yseult, Roméo et Juliette, Abélard et Héloïse...

    Malgré un courant actuel très éloigné des mythes et de la mythologie, je constate que la notion de fidélité, de durabilité reste très présente dans la jeunesse actuelle.

 

Amour et morale. Evolutionnisme et sens moral.

 

    Née du hasard, la vie n'a pas de sens moral. "Struggle for life", le combat pour la vie, n'est pas un précepte moral. C'est la constatation d'un phénomène universel. Une forme de vie se développe par la domination ou l'anéantissement d'autres formes de vie. Les virus en se développant dans un organisme vivant n'ont pas de scrupules moraux. Les lions qui dévorent une gazelle non plus, car le maintien de leur existence dépend de leur capacité à tuer.  La conscience morale ne survient que dans les espèces les plus évoluées de la vie, l'homme bien sûr, mais aussi d'autres espèces proches, comme le singe ou même le chien. Pour autant, la conscience morale ne s'impose pas dans l'humanité. C'est tout le contraire, comme en témoigne, depuis que l'homme existe, sa capacité à dominer, à détruire, à tuer. Certaines civilisations réussissent un équilibre entre la préservation de leur vie et la préservation des autres espèces animales et végétales. Ce sont peut-être les civilisations les plus évoluées, mais leur existence est menacée par l'extension  des civilisations prédatrices.

    La théorie de l'évolution a été abusivement utilisée pour justifier une morale politique et sociale visant à exalter la prédominance des plus forts. Il est vrai que la tentation est grande. Si la nature élimine les plus faibles et préserve ceux qui sont les plus adaptés à la survie, alors, pourquoi ne pas l'aider un peu ? Ou beaucoup ?

Il y a là une confusion : fonder une morale sur l'idée de nature. On retrouve - paradoxalement - la même confusion que l'on observe déjà dans le providentialisme et dans une idéologie naturaliste : Ce qui est naturel est bon. De "il faut laisser faire la nature"; on glisse vers ", il faut agir dans le sens de la nature". Or la nature n'est ni bonne ni mauvaise. C'est un fait que les prédateurs, comme le lion, dévorent les éléments les plus faibles d'une troupe de gazelle, renforçant ainsi le patrimoine génétique de l'espèce. Ce n'est moralement ni bon ni mauvais. Tout au plus peut-on s'attrister de la disparition d'une gentille gazelle.

    Lorsqu'il s'agit de l'espèce homme, la nôtre, la morale ne se fonde pas sur une interprétation simpliste de  l'évolutionnisme que résumerait la fable du loup et de l'agneau : "La raison du plus fort est toujours la meilleure". On peut trouver une analogie entre la morale et la médecine. Nous avons vu que l'organisme fabrique ses propres systèmes de défense, en produisant des anticorps, qui vont s'opposer - naturellement - à l'élimination d'un individu ou d'une espèce par des prédateurs microbiens. Renforcer le système de défense, le compléter, c'est agir dans le sens de l'évolution. De même, agir efficacement vis-à-vis d'une personne ou d'un groupe en difficulté, c'est peut-être opposer un comportement conscient à un système de sélection qui éliminerait cette personne ou ce groupe. Et c'est   - paradoxalement - agir dans le sens d'une évolution dans laquelle la conscience à toute sa place.

Peut-on fonder une morale altruiste sur des considérations évolutionnistes?

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    Pour beaucoup, aborder la question de la morale à partir de considérations évolutionnistes peut paraître excessif ou déplacé, tellement nous sommes habitués à nous référer à des principes qui auraient une origine supranaturelle, divine, pour tout dire. Alors, on peut poser la question : Peut-on fonder une morale sans référence à Dieu ?

    À la lumière de ce que nous savons sur l'histoire de l'humanité et de l'histoire des religions, ma réponse immédiate est : Surtout pas de références à la divinité pour établir une morale. Combien de crimes, de massacres, d'injustices, ont été commis au nom de la divinité : Les sacrifices humains dans les religions primitives, la justification de massacres dans la Bible. La loi du talion, "oeil pour oeil, dent pour dent" se retrouve dans plusieurs cultures. Jésus (précédé par quelques prophètes comme Ezéchiel et Osée) marque un tournant dans la morale, en préconisant le pardon, l'amour des autres, l'égalité homme-femme. Mais ça ne dure pas. Dès les premiers chrétiens, tout ne baigne pas dans l'irénisme, ainsi que le rapportent les Actes des Apôtres. Deux membres de la première communauté chrétienne, Ananias et Saphira, sont frappés d'une mort mystérieuse, alors qu'ils ont transgressé les règles communautaires, en mentant sur la valeur d'un bien qu'ils ont vendu.  (Actes 5,1-10). L'origine de cette mort reste mystérieuse. Coma ou exécution dissimulée ?

    Le catholicisme retrouvera les vieux instincts de criminalité, de cruauté : croisades sanglantes, massacres de la Saint Barthélemy, inquisition. Les Protestants ne seront pas en reste: Calvin, le réformateur, est responsable du meurtre de Michel Servet, brulé vif pour hérésie, à Genève.

    Avant l’arrivée de l’islam, la conception de la morale et de la société, dans le monde arabe, était très diverse. Le statut de la femme, notamment n’était pas toujours celui d’un être inférieur. (Voir à ce sujet, https://matricien.org/geo-hist-matriarcat/asie/bedouin/ ). L’islamisation de la société introduit une rigueur et une intolérance qui va jusqu’à l’appel au meurtre de ceux qui ne partagent pas les convictions du prophète. Seul celui qui croit dans la parole du prophète est vraiment humain, ce qui exclut et condamne tous les autres et justifie toutes les actions menées contre les "mécréants". Les actions criminelles de Daesh ne sont pas des nouveautés. Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler lorsque nous aborderons plus précisément la question de l’islam.

    Notons que les religions ne sont pas les seules croyances criminogènes, loin de là. Certaines croyances, s'appuyant sur des pseudo-démonstrations scientifiques, ont provoqué les pires catastrophes humanitaires. C'est le cas du racisme développé pendant la colonisation allemande en Namibie, entre 1884 et 1911, et ayant entraîné le premier génocide du XXème siècle. Ce sont les mêmes acteurs, théoriciens racistes et bourreaux militaires que l'on retrouvera avec l'avènement d'Hitler. Pour les résultats horribles que l'on connait.

    Les prescriptions morales des religions sont toujours données par des hommes qui prétendent parler au nom de la divinité. À ce jour, aucun dieu n'est venu confirmer ou infirmer les crimes que l'on commet en son nom. La référence à la divinité n'est que la manière de donner à ses actions ou à ses crimes une force de prescription que d'autres jugeront incontournables. Si c'est Dieu qui recommande le meurtre (ou le pardon), on ne peut passer outre.

    La religion a joué un rôle positif en fixant des règles morales dans une société faiblement évolutive. Mais cette fixité exprimée dans des dogmes et des règles morales contraignantes est aussi sa faiblesse. On l'a bien compris vis-à-vis de la connaissance, avec Galilée, lorsque l'autorité religieuse s'est opposée aux découvertes qui remettaient en question ses dogmes.  La religion est un frein à l'évolution morale de la société. Frein plutôt positif, lorsque la société prend des risques qui peuvent la conduire à sa perte. (Un frein que Pie XII n'a pas su utiliser contre le nazisme, mais dont le pape François se sert avec opportunité). Mais un frein qui peut être aussi facteur de mortalité pour la société, la rendant incapable de s'adapter aux conditions nouvelles de son existence. C'est particulièrement flagrant dans la morale islamique, dont les interdits trouvent leur origine, probablement, dans des pratiques hygiéniques médiévales qui ne sont plus d'actualité. (La consommation de mouton n'était pas interdite dans la période d'encéphalopathies spongieuses transmissibles, alors que le porc, qui ne présente aucun risque, restait interdit. L'égorgement du mouton, sans étourdissement préalable, permettait sans doute de s'assurer de l'état sanitaire de la bête, mais ne se justifie plus maintenant, et reste une pratique cruelle inutile.)

Le sens moral, un mécanisme, trouvant son origine dans l'évolution ?

 

    "Les émotions sont des mécanismes sélectionnés par l'évolution au sein des espèces, car elles permettent à leurs membres de répondre de manière adéquate aux situations qui concernent leur survie. Si nous les éprouvons, c'est que nous avons été génétiquement programmés pour cela au cours de notre histoire" [1]

Quels avantages donne le sens moral à une espèce telle que l'homme (ou tout autre animal, car on verra que le singe, par exemple, possède lui aussi un sens moral) ? L'émotion liée au sens moral permet de prévoir le comportement de nos semblables: Comportement agressif d'un congénère, ou attitude effrayée qui prévient d'un danger imminent. Le message reçu améliore les chances de survie. Et c'est l'empathie qui provoque l'aversion pour la souffrance d'autrui. À la vision d'un visage exprimant de la souffrance, nous partageons cet état émotionnel.

    On connait l’affirmation de Rousseau : « L’homme nait bon. C’est la société qui le pervertit ». Avec Franz de Wall, psychologue, primatologue et éthologue, on n’est pas très loin  de Jean Jacques Rousseau, lorsqu’il affirme : « L’enfant est moral naturellement : sa constitution biologique l’aide considérablement à s’engager dans cette voie… ». Mais à la différence de Rousseau, cet attitude morale est le produit d’une évolution particulièrement manifeste chez des espèces plus évoluées comme le singe ou même d’autres mammifères comme le chien. L’homme n’a pas l’exclusivité du sens moral. Franz de Wall montre des exemples surprenants de primates manifestant empathie, collaboration, équité et réciprocité, se soucier du bien-être des autres. (Je rapporte quelques exemples dans l’article 10 du blog « Les singes et nous »).

La morale et le bonheur.

 

    En définitive, le sens moral est ce qui permet de concilier à la fois le bonheur individuel et le bonheur de la collectivité. Une conciliation qui ne va pas de soi, bien sûr, et qui est compromise en permanence par l’individualisme, l’intolérance, la recherche du profit, un orgueil stupide et dominateur.

   On trouve certaines prescriptions morales non seulement qui s’opposent au bonheur, mais qui voient dans la manifestation du bonheur  une menace pour la morale.  Il s’agit là d’une perversion dans laquelle le bonheur n’est pas une fin en soi, les prescriptions morales étant présentées comme des obligations dictées par un gourou, un imam, voire Dieu lui-même. La morale islamique, dans bien de ses prescriptions correspond à cette perversion. Je ne citerai ici que le rejet de la musique, jugée « haram ». Plus généralement, on entre dans une morale du permis et du défendu qui échappe à toute rationalité, et qui s’appuie d’abord sur des citations de textes parfois contradictoires, et que chacun choisit en fonction de ses tendances. Interrogez un site islamique sur la musique, l’épilation, la consommation de viande, etc. On ne vous parlera jamais de santé et de bonheur. Vous serez inondé de références à des « savants » dont on citera les textes ou les paroles.

  Cette morale du permis et du défendu s’appuie presque exclusivement sur la citation de textes ou de paroles  plus ou moins ancienes, de références à des « savants » autoproclamés, qui tous se réclament du prophète, et au-delà, de Dieu.

 

     Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.

Amours Bonobos

Tristan et Yseult

Dieu révèle sa loi à Moïse

[1] Marc Hauser, co-directeur du programme "Mind, Brain and Behavior" à l'université de Harvard, USA. Cité par Science et Vie Juin 2007 - page 54

    Une erreur courante: Multiplier les expériences amoureuses, en supposant que la prochaine sera la meilleure. Mais l'homme ou la femme idéale  n'existe pas. Et l'on peut ainsi naviguer de déception en déception. Ce qui importe, sauf cas limite, c'est de maintenir au mieux, d'améliorer la relation existante, en s'adaptant aux variations du temps, des circonstances, du vieillissement. Pour certains, cependant, la multiplication des expériences, en dehors de tout engagement, est une conduite de vie. Elle s'exprime dans un courant assez récent, l'échangisme. A parcourir quelques sites sur ce sujet, il semble bien que si le plaisir est un facteur de bonheur, ce plaisir se limite à quelques manipulations érotiques. "Faire l'amour" ne signifie pas toujours aimer.

Le 19   janvier 2017

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