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10 - les singes et nous

                          

En déplacement à Barcelone, pour une visite professionnelle, dans les années 80, j'avais un train à prendre pour le retour en France. Comme j'avais un peu plus d'une heure à attendre, j'allais visiter le zoo de la ville. L'espace des gorilles me fascina beaucoup, et je restais longtemps à les observer. Ils ne jouissaient pas des aménagements maintenant offerts aux animaux dans les zoos les plus récents. Deux très grandes pièces, aux murs nus, protégées par des parois de verre, séparaient deux types de gorille. Quelques branches d'arbres morts prétendaient amener un peu de décoration. Dans la première pièce, trônait un gorille albinos, phénomène unique, dont j'appris plus tard l'histoire. Snowflake, flocon de neige, avait été capturé en 1966 par des villageois à l'ouest de la Guinée, puis amené en Espagne par un primatologue. Il devait passer toute sa vie au zoo de Barcelone, et mourir, en 2003, d'un cancer de la peau. Une étude a révélé qu'il était né d'une union consanguine. J'étais impressionné par sa carrure et sa musculature imposante. Il était assis sur un tronc et semblait affligé d'un peu d'obésité. mais sa vie solitaire ne devait pas être très drôle. Sa seule distraction, à lui comme à ses voisins de l'autre pièce, était la découverte des visiteurs humains qui venaient l'observer. Car, dans la pièce attenante, cinq ou six gorilles traînaient leur ennui. À première vue, leur gabarit plutôt modeste me  laissait penser qu'il s'agissait de femelles. Une image m'a frappé: Dans un coin, à gauche, un gorille était assis sur un tronc, dans la position du penseur de Rodin, courbé, un coude droit placé sur le genou droit (le genou gauche chez Rodin), le menton appuyé sur la main. Dans l'attitude et dans le regard de "ces gens- là" (l'expression m'était venue spontanément), flottait un ennui maladif. Cette courte expérience m'a beaucoup marqué et m'a fait voir nos "cousins" comme des proches.

Un échange de regards avec les gorilles du zoo de Barcelone m'a plus apporté sur le sens de l'humanité et sur ses origines que n'importe quelle philosophie.

Rencontre à Barcelone avec flocon de neige, gorille albinos, mort d’un cancer de la peau en 2003.

Un regard vers les hommes

Arbre généalogique des primates depuis 55 millions d’années

 Lamarck s'était fait violemment attaquer lorsqu'il avait affirmé que l'homme pourrait descendre d'une branche de grands singes. Le premier il avait suggéré que l'homme avait évolué à partir d'un primate quadrumane. Selon Frans De Waal,  (psychologue, primatologue et éthologue néerlandais) on pensait jusqu'aux années 1960 que les humains avaient formé une branche à part dans l'arbre évolutionniste. Mais les études de l'ADN ont rapproché les humains des chimpanzés et des bonobos, et les ont éloigné des gorilles et des orangs-outans.[1]

Les grands singes

 

A vrai dire, il paraît actuellement impossible d'établir un arbre généalogique précis qui recouvrirait à la fois l'évolution des hommes et celle des grands singes. La raison principale réside dans l'absence de fossiles de la plupart des singes, due en grande partie à des recherches paléontologiques centrées essentiellement sur l'homme. Et cette impossibilité est un argument pour les créationnistes, pour lesquels l’analogie morphologique et cérébrale entre l’homme et les primates est moins parlante que l'hypothèse d'un mystérieux dessein. Mais, fidèle à ses principes, la recherche scientifique si elle n’exclut rien, ne fait cependant pas appel à quelque mystérieuse divinité que l’accumulation des connaissances ne permet pas de mettre en valeur. Les aléas  et les catastrophes multiples subies par le vivant, au cours de son histoire, militeraient au contraire pour une absence réelle de dessein.

Ajoutons encore que les découvertes progressent, même si elles ne seront jamais complètes. Tout récemment, en Chine, on a découvert le squelette d'un primate le plus ancien connu, nommé  archicebus.

"Quelques centimètres de haut, à peine 30 grammes, avec une longue queue et des doigts osseux : c'est le portrait d'un primate qui vivait voici 55 millions d'années, le plus ancien jamais découvert et donc le plus vieil aïeul connu des humains.

Selon les paléontologues à l'origine de la découverte publiée mercredi dans la revue "Nature", ce fossile unique aidera les chercheurs à compléter l'arbre généalogique de l'évolution des primates, dont l'homme est un représentant parmi d'autres ".[2]

Archicebus

Lémurien

Rappelons que les lémuriens, espèces endémiques à Madagascar [3], bien que partageant des caractères morphologiques avec les primates primitifs, forment une sous-classe de primates, et ne sont pas des singes.

Les primates seraient apparus il y a 55 millions d'années, peu après la disparition des dinosaures. Ils commencent à se répandre et à se diversifier il y a 55 millions d'années.

La lignée des gibbons se sépare des autres primates vers 25 millions d'années.

Et celle d'avec les orangs-outans de 10 à 15 millions d'années.

La divergence de la branche des gorilles remonterait de 8 à 10 millions d'années.

Issues d'un  tronc commun, les lignées de l'homme et du chimpanzé se sont séparées autour de 6 ou 7 millions d'années.

Les singes ont toujours fasciné les humains, en raison de leur proximité physique avec l'homme. Très tôt, on s'est aperçu d'une intelligence analogue à la nôtre. Les primatologues depuis quelques années ont beaucoup progressé dans la connaissance de nos cousins, leur vie sociale, leur langage. La génétique a aussi permis d'établir des liens entre nous et eux.

Le film de King Kong, projeté en 1933 a fortement marqué les esprits. C'est un gorille monstrueux, dont le comportement est assez éloigné des modèles pacifiques d'origine. Il rejoint d'autres légendes sur le Yéti, dans les montagnes himalayennes, ou encore Big Foot en Amérique du Nord.

Un singe géant a bien existé en Asie. (Chine, Vietnam, Thaïlande). On a trouvé des fossiles, mais pas de squelette complet. Ce géant, selon les déductions des chercheurs et par comparaison avec d'autres primates, pourrait avoir mesuré 3 mètres, et pesé 500 kilos. Il vivait il y a 10 millions à 9 millions d'années. Il a disparu il y a environ 100 000 ans.

Des populations en extinction

                

Ce sont les grands singes, ceux qui sont les plus proches de nous qui sont en danger d'extinction.

Ainsi, les chimpanzés ne sont représentés que par 175 à 300 000 individus. (En tout, la population d'une grande ville européenne. C'est très peu). Ils résident  dans plusieurs pays d'Afrique équatoriale.

Les bonobos, appelés aussi chimpanzés nains, ne sont plus que 30 à 50 000 individus. Ce sont ceux qui nous sont les plus proches génétiquement. Ils habitent exclusivement en République Démocratique du Congo. [4]

Il y a deux types de gorille. Le gorille de l'Ouest, en Afrique centrale de l'Ouest. Et le gorille de l'Est, en République Démocratique du Congo. Les premiers comprennent environ 300 000 individus, les seconds ne sont plus que 17 000.

Deux types d'Orang-outan également que l'on ne trouve qu'en Asie : Les Orangs-Outans de Bornéo ne sont plus que 50 000. Les Orang-outan de Sumatra,  7 300 individus.

Autant dire que les grands singes, les plus proches de notre espèce, sont en voie d'extinction. Une perte irréparable du vivant. Des personnalités, des associations se mobilisent pour la préservation des grands singes. (Ligue française de Protection des Orangs-Outans). Mais le mal est fait. Un retour en arrière semble être un enjeu colossal. Face aux dangers d'extinction que courent certaines espèces animales dans leur milieu naturel, les zoos sont souvent invoqués comme une sorte de conservatoire des espèces. Grave !

En sortant quelque peu de notre sujet, on peut évoquer d'autres espèces animales gravement menacées, peut-être définitivement. Ainsi, les tigres ne sont plus que 3200 dans la nature, en Asie, alors qu'on en compte 5 000 dans les zoos américains. Et bien d'autres espèces animales sont en danger, si rien n'est fait (rhinocéros, éléphants...)

Pourquoi les hommes sont-ils aussi impitoyables avec les animaux ? Toujours la même raison : l'argent. Ainsi, en Indonésie, des forêts sont détruites pour laisser place à des plantations produisant de l'huile de palme. La destruction de l'habitat des Orangs-outans entraîne leur disparition. On en finirait pas de dénoncer les agressions criminelles contre de nombreux animaux.

 

Proximité psychologique

entre les grands singes et nous

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Anthropomophisme ?

 

Le schéma généalogique ci-dessus montre notre proximité d'origine et donc de morphologie. Une proximité qui s'exprime aussi dans le cerveau. Les grands singes ont des zones cérébrales tout-à-fait semblables aux nôtres. Et l'observation des singes peut nous apprendre beaucoup sur nous-mêmes. Il fut un temps où attribuer de l'intelligence ou des sentiments aux singes (et à d'autres espèces animales) était considéré comme de l'"anthropomorphisme", car il n'était pas question de franchir la barrière qu'on avait établie entre l'espèce supérieure de l'homme et les autres animaux. Aujourd'hui, les études des primatologues mettent en relief la parenté que nous avons avec les grands singes.

Chez le chimpanzé, notre plus proche cousin, on retrouve des capacités intellectuelles très proches des nôtres : Des expériences en laboratoire ont montré que dans certains exercices, le chimpanzé a des capacités mémorielles supérieures à celles de l'homme. (Nous l'avons indiqué dans l'article précédent. Voir Ayumu, le chimpanzé surdoué).  Il est capable de fabriquer des outils, d'analyser des situations complexes. Des films comme "la Planète des Singes" nous donnent une idée de ce que pourrait être l'évolution des singes dans ... de nombreuses années. Si toutefois ils n'ont pas disparu avant.

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Le sens moral

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On retrouve chez le chimpanzé comme chez d'autres singes, le sens de l'injustice, la violence, le sens de la hiérarchie, l'égoïsme, et même la cruauté. Chez les bonobos, la proximité avec l'homme est encore plus frappante: C'est de l'altruisme que l'on observe. Frans de Wall rapporte une expérience de l'une de ses collègues: Une femelle bonobo résidait dans une cage séparée des autres cages. Elle demanda du jus de fruit. Et quand on le lui en apporta, elle désigna les autres bonobos de la main, tout en émettant des vocalises. Ses copains se mirent à émettre des cris eux aussi, et se regroupèrent vers la cage de leur copine, dans l'attente de recevoir du jus de fruit.

Sens aigu de la gratitude et de la punition : De Waal rapporte encore que des chimpanzés se trouvaient sous la pluie et attendaient qu'on leur ouvre la porte. Lorsque le gardien leur ouvrit la porte, ils se précipitèrent sur lui pour l'embrasser. Deux jeunes femelles avaient tardé à rentrer dans leur enclos, ce qui retardait désagréablement l'apport de nourriture pour le groupe. Elles avaient été placées dans une cage à part pour la nuit, afin de les préserver de représailles de la part du groupe. Mais le lendemain, elles reçurent une correction de leurs congénères.

Si les chimpanzés sont capables d'altruisme, de partage, de compassion, ils sont aussi capables de cruauté. Une primatologue, Jane Godal, a observé des chimpanzés dans la nature. Elle découvrit que, loin d'être pacifiques, les mâles partent en groupes organisés aux frontières de leur territoire, pour des expéditions guerrières. S'ils découvrent un mâle étranger, ils le tuent. Guerre et xénophobie ne sont pas l'apanage de l'homme.

La proximité de comportement avec les grands singes nous laisse penser que nous avons en commun des prédispositions génétiques qui déterminent le "sens moral" dont nous avons tendance à trouver l'origine ailleurs qu'en nous-mêmes. Ces prédispositions génétiques sont elles-mêmes confortées dans un sens ou un autre par l'environnement familial et social. Paradoxalement, Frans de Wall pense que les comportements altruistes, chez l'homme, seraient dus à la pratique de la guerre et de la chasse. La solidarité du groupe est un atout majeur pour une action visant à entretenir sa survie. Mais ces dispositions étant installées dans le génome de l'individu, elles subsisteraient par elles-mêmes, indépendamment de leur finalité première.

Nos cousins primates ont comme nous le sens du pardon et de la consolation. Il s'agit bien là d'une tendance qui n'est pas induite uniquement par la culture, celle-ci pouvant - à l'inverse - provoquer des comportements qui modifient les dispositions génétiquement  programmées. On peut se demander si la différence de comportement dans les conflits entre chimpanzés et bonobos, pourtant très proches génétiquement, est due à une culture différente, plus violente chez les premiers et plus "cool" et plus généreuse chez les seconds. Là comme ailleurs, il est difficile de déterminer l'interaction entre dispositions innées et influence de la culture.

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      Citations du texte

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[1] Le Bonobo, Dieu et nous - Frans De Waal

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[2] http://www.lemonde.fr/sciences/video/2013/06/07/decouverte-en-chine-du-plus-ancien-primate-connu_3426205_1650684.html

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[3] Endémique : propre à un territoire bien délimité.

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[4] On trouvera plusieurs films sur youtube  concernant l’action extraordinaire de Claudine André, qui a développé une action en faveur des bonobos, et au bénéfice de la population locale

.https://www.youtube.com/watch?v=M4SBOe8NrP4

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Le 1er décembre 2016

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