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9 - Les animaux et l'homme

Un retour en arrière sur la philosophie et la théologie de l’homme et de l’animal.

 

Il est important de savoir que la pensée grecque d’Aristote a inspiré tout notre monde, toute la société. Et cette pensée est basée sur la notion de hiérarchie, que l’on trouve déjà dans la Genèse. Cette pensée a imprégné notre conception du monde, de la société, de la famille, de la nature tout entière, et évidemment de la politique et de l’organisation religieuse. Ce thème récurrent dans toute la pensée occidentale et chrétienne,est trop important pour être développé ici. Aussi nous laissons volontiers de côté la hiérarchie céleste, qui ne nous concerne plus beaucoup (Dieu, au sommet de la pyramide, les anges, les démons, les saints …), pour revenir à notre monde terrestre de plantes, d’animaux et d’hommes.

La hiérarchisation de la « création » a conduit a segmenter les différentes formes de la vie, pour ne pas voir la continuité qui existe entre tout le vivant, depuis la plante jusqu’aux humains. La notion d’évolution est peu compatible avec celle de création, dans laquelle Dieu attribue à chacun des propriétés distinctes. Dieu crée le monde en 6 jours, mais il n’y a pas de continuité entre chacune de ses créations journalières. La rupture avec le reste de la « création » est encore plus marquée lorsqu’il s’agit de l’homme, puisque, à la différence des autres vivants, Dieu crée l’homme à son image. Et, suprême privilège dont ne bénéficie aucun autre être vivant, Dieu donne à l'homme l'immortalité. Un privilège (illusoire?) qui l'isole définitivement de toutes les autres créatures, même celles qui lui sont les plus proches, comme le chimpanzé ou le gorille.

Concernant la relation entre le monde animal et l'homme, la pensée des théologiens et des intellectuels chrétiens a évolué au cours de l'histoire, mais sans abandonner l’idée de hiérarchie de valeurs et d'intéret, au sommet de laquelle trône l'homme, radicalement différent,. Au Moyen Âge, les animaux envahissent l'art, et deviennent des moyens éducatifs pour la catéchèse. Avec Saint François d'Assise, l'animal est proche de l'homme. Mais entre l'homme et l'animal subsiste toujours un fossé. L'animal fonctionne avec son instinct. L'homme fonctionne avec son intelligence et sa conscience qui lui vient de l'âme. Ce fossé a été installé par Dieu, qui donne à l'homme une âme spirituelle à sa naissance, gage d'éternité. Les animaux, eux n'ont pas d'avenir éternel.

D'abord farouchement hostile à l'évolutionnisme, l'Eglise se convertit tout doucement à cette idée; mais sans renier ses présupposés doctrinaux. Le jésuite Teilhard de Chardin, d'abord condamné, est réhabilité, car il fournit une philosophie qui serait capable de concilier évolution et théologie : L'introduction de l'âme immortelle dans la création crée un brusque saut qualitatif. Le règne antérieur de la vie, c'est la "biosphère". La création de l'âme humaine c'est la "noosphère". L'homme est le point émergeant de la création en progression vers Dieu. "Nous sommes l’axe et la flèche de l’évolution". L'homme est le fruit de tâtonnements multiples de l'évolution, sur des milliards d'années. Dans cette hiérarchisation du vivant, l'homme est un sommet, la vie qui le précède n'est que secondaire et préparatoire à celui qui, en se situant dans la noosphère, tend vers Dieu. 

J'ai exprimé dans mon livre (La Porte de Nulle Part) une courte critique de cette conception de l'évolution, qui ne tient pas compte des avatars nombreux et souvent catastrophiques de l'histoire de la vie, ni, bien sûr, des innombrables catastrophes moins importantes qui jalonnent l'histoire de l'humanité jusqu'à nos jours. En réalité, cette histoire ne fait pas apparaître des "tâtonnements", qui convergeraient vers un point omega ultime et définitif, mais des séries d'événements aléatoires cumulatifs soumis au hasard. Ce que l'on sait maintenant des extinctions massives de la vie, depuis son apparition il y a 40 milliards d'années, ne nous incite pas à voir dans l'évolution un axe rigoureux vers le divin créateur. La 6ème extinction massive, dont l'homme est grandement responsable, pourrait bien signer la fin de l'humanité, et la fin provisoire de cette grande aventure de la vie. 

Dans la théologie catholique, les animaux n’ont guère de place. Le sexe des anges a plus préoccupé les théologiens que la question animale. Dans son « Dictionnaire de Morale Catholique », Mgr Bruguès rappelle la position traditionnelle.  Pour lui, l’animal n’a pas de droits, car les droits « découlent de la dignité intrinsèque de la personne humaine et exclusivement d’elle »[4]. Pour lui , pas d’affection, pas de respect pour les animaux, qui sont des êtres inférieurs. Les animaux peuvent être chassés et mangés légitimement. La corrida est moralement recevable, car elle permet un « exorcisme de la violence humaine ».

Alors, que deviennent les animaux ?

 

La vision teilhardienne  de la vie est conforme à la doctrine exprimée par Bruguès. Hommes et autres espèces vivantes constituent deux mondes à part. Pour prendre une image, tout ce qui précède l'homme n'est que le premier étage d'une fusée qui conduit vers Dieu. Le vivant - avant l'homme - n'est que le témoin d'une vie antérieure entièrement dédiée au sommet de la création, l'homme. Tout le vivant, animaux compris, devient objet d'exploitation, conformément à la parole de Dieu dans la Genèse, "Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre".[1]

 On a dans ce verset de la Genèse tous les éléments explicatifs du comportement de la société humaine vis-à vis de la nature dans laquelle il vit :

  • L’homme est à l’image de Dieu. Il est hiérarchiquement au sommet de la « création », et se distingue radicalement des animaux et des plantes

  • De Dieu il reçoit la possibilité d’une vie éternelle, à la différence des autres vivants qui sont tous périssable.

  • Sa fonction est de dominer les autres créatures, de les utiliser à son profit.

  • L’âme que l’homme reçoit amènera plus tard les philosophes et les théologiens à distinguer l’intelligence, « propre de l’homme » de l’instinct, propriété des animaux. Pour Descartes, les animaux sont de simples mécaniques dénuées de sensibilité et de pensée.

  •  La vision  teilhardienne de la nature confirme la Genèse. L'homme, radicalement séparé de l'animal par le privilège divin de l'âme, sera naturellement enclin à considérer la nature, animal compris, comme une source d'exploitation.

Il faut parfois choisir entre l’homme et l’animal.

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Qu’il y ait des degrés dans l’évolution de la vie, c’est incontestable. Que ces différences de degrés créent une certaine hiérarchie dans le vivant, c’est vrai. Et cette constatation peut amener à privilégier l’homme par rapport aux autres vivants. Lorsqu’un choix est à faire entre la vie humaine menacée et la vie animale, on sera peut-être obligé de sacrifier la vie animale. Ce cas de conscience se pose en particulier chez les bergers, obligés de se défendre contre des prédateurs.

Les noirs ont-ils une âme ?

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La philosophie et la théologie ont autrefois institué des hiérarchies à l'intérieur de l'espèce humaine. Une hiérarchisation reprise par le racisme hitlérien. À tel point que dans les premières périodes de la colonisation, certains se sont demandé si les noirs avaient une âme. On les considérait comme des sous-hommes (untermenschen dira plus tard Hitler). Les esclaves étaient considérés comme des animaux, et n'étaient pas mieux traités. L'esclavage existait déjà dans l'Antiquité, et est mentionné dans les premiers textes écrits. On le trouve dans à peu près toutes les civilisations (Chine, Mésopotamie, Egypte, Grèce antique et Rome ...) L'esclave est alors un bien meuble qui se vend et s'achète. Son propriétaire a droit de vie et de mort sur lui. La conquête coloniale espagnole asservit les populations amérindiennes. La controverse de Valladolid, entre théologiens, en 1550, aurait porté sur la question de savoir si les Indiens ont une âme, (question contestée par certains historiens). Rappelons encore que les expositions coloniales entre 1922 et 1931 installent de véritables zoos humains, montrant la vie des "sauvages". Et il est possible qu'un certain tourisme actuel  joue sur l'exotisme reconstitué de populations que l'on photographie et que l'on filme avec beaucoup de sympathie condescendante.

La référence à l'animalité supposée des races dites inférieures nous fait poser la question :  Qu'est-ce qu'un animal ? Et y-a-t-il vraiment une coupure essentielle (au sens philosophique  du mot) entre l'animal et nous ?

Ce n'est qu'assez récemment que des études sérieuses ont été faites sur les animaux, en laissant de côté les aprioris sur l'instinct, supposé être une fonction vitale différente de l'intelligence, propriété exclusive de l'homme, pour appliquer une éthologie tout-à-fait-comparable à celle qui concerne l'homme, et en utilisant les instruments analogues de la psychologie et de la médecine. Ce rapprochement nous amène à minimiser l'écart entre l'animal et l'homme, ce dernier étant lui aussi un animal. Et par conséquent à revoir l'éthique de notre exploitation sur la nature et sur l'animal en particulier. L'éthique pratiquée sur l'homme est extensible à l'éthique sur l'animal et sur l'ensemble de la nature. Car notre action sur la nature végétale et animale a un effet boomerang. Poussée à l'extrême cette exploitation s'avère mortelle pour l'espèce humaine elle-même.

intelligence animale et intelligence humaine.

 

L'arbre généalogique des primates situe l'homme au sommet de la hiérarchie du vivant. (Nous le verrons dans le prochain article). Et notre proximité génétique avec les chimpanzés nous laisserait penser que le développement de l'intelligence, dans le vivant, suit une orientation unique, qui pourrait s'apparenter à la notion de "noosphère" telle qu'elle apparaît dans la philosophie de Teilhard de Chardin. Les études de chercheurs sur l'intelligence animale nous indiquent que cette conception pyramidale de l'intelligence est erronée. L'intelligence est le résultat d'une évolution, d'une complexification du vivant, qui n'appartient pas en exclusivité à l'homme. Voir d'abord l'intelligence comme une capacité d'adaptation au milieu nous fournit une bonne compréhension d'un phénomène qui trouve son sommet et ses limites dans l'espèce humaine. Son sommet, si on examine les merveilles de la technologie que l'humanité a produite. Ses limites si on prend en compte l'imbécilité des guerres dévastatrices, l'idéologie du consumérisme et du profit producteur de catastrophes écologiques.Des tests ont été élaborés pour déterminer le degré d'intelligence entre les différentes races humaines. Si des différences entre les races existent et sont dues aux conditions d'adaptation des groupes humains à un environnement changeant, on peut cependant mettre en doute la pertinence des tests utilisés. Des tests effectués sur les Japonais à la fin des années 70 ont montré que les Américains blancs avaient un QI inférieur à celui des Japonais, d'un écart semblable à celui existant entre Américains noirs et américains blancs. La différence serait-elle d'origine génétique ou due à la qualité des écoles japonaises ?

Intelligence des animaux. Intelligence des singes

 

Les résultats de tests effectués sur des primates - à condition bien sûr de sélectionner certains types de tests - ont de quoi nous bluffer, et remettre en question la supériorité incontestée des hommes. C'est le cas de Ayumu, âgé de 7 ans, entraîné par des primatologues de l'Université de Kyoto. Sa capacité de mémoire immédiate exercée sur un écran d'ordinateur est absolument prodigieuse et surpasse de loin celle des meilleurs étudiants.[2] Encore faut-il préciser que les chimpanzés sont les plus proches de nous génétiquement. Les babouins, plus éloignés de l'homme, dans la hiérarchie des primates, sont capables de raisonnements abstraits qui nous contraignent à la plus grande modestie. Des expériences menées à Marseille par Joël Fagot, chercheur au CNRS, indiquent que les babouins sont capables d'établir des comparaisons de formes visuelles onze fois plus vite que leurs homologues humains. (Chacun de nous, au cours de sa vie d'étudiant, a été confronté à des tests dont on n'est pas sorti particulièrement brillant. De savoir que des babouins sont meilleurs que les humains pour des tests analogues a de quoi nous consoler).

La pieuvre passe, à juste titre, pour un animal très intelligent, alors qu'elle est très éloignée de nous dans le règne animal. On connaît l'épreuve dans laquelle une pieuvre est capable de s'échapper d'un labyrinthe dont elle doit analyser la structure. Ou l'aventure de ce poulpe enfermé dans un bocal et qui réussit à en sortir[3] Selon des chercheurs israéliens, l'intelligence du poulpe ne se limite pas au cerveau. Elle se répartit dans le système nerveux de ses 8 tentacules.

Mémoire, langage, ne sont pas des propriétés exclusives de l'homme, comme on peut l'observer chez les éléphants, les dauphins, et à peu près tous les animaux, à des degrés divers.

La conscience de soi.

 

C'est ce qui a longtemps été perçu comme un privilège de l'espèce humaine. Or ce privilège est partagé par bien d'autres animaux.

Des expériences montrent que la conscience de soi est perçue par plusieurs animaux. L'outil de l'expérience est généralement un miroir. Or plusieurs animaux, comme les primates, les éléphants, les dauphins, réalisent assez rapidement que l'image qu'ils ont dans le miroir n'est pas celle d'un autre qu'eux-mêmes.

(Des philosophes diront que, à la différence des animaux qui ont cette conscience de soi, l'homme sait qu'il sait. Cette différence est-elle réelle ? Qui sait ? .... )

Notre relation avec les animaux

 

Notre société nourrit une fantastique hypocrisie vis-à-vis des animaux. Dans mes pratiques éducatives avec les enfants, j'utilise souvent des livres où sont représentés les animaux, les gentils petits lapins, les poules espiègles, les mignons cochons (qui font l'objet de dessins animés pour les enfants, à la télévision, dans un  graphisme qui ne me parle guère). Les animaux sont utilisés comme des objets de distraction et de rêve pour les enfants. Parfois même ils sont porteurs d'un message moral. Je trouve que les fables de La Fontaine sont beaucoup moins hypocrites. Chargées d'anthropomorphisme, elles ne masquent pas la ruse, la cruauté, l'arrivisme. Le loup bouffe réellement l'agneau. L'anthropomorphisme des fables est peut-être préférable à la mièvrerie de certains livres pour enfants.

Quand on donne une tranche de jambon à l'enfant (ce qui m'arrive souvent, car je sers des repas aux enfants), on ne lui explique pas que cette tranche provient du découpage d'un animal qu'on a tué, qui a souffert. Je me limite à leur apprendre que c'est bien d'un  cochon que ça provient. J'ai vu un jour un  reportage sur le salon de l'agriculture, "la plus grande ferme de France". Pour les enfants, c'est l'occasion de caresser la petite chèvre, le doux lapin. Des sourires s'épanouissent sur les visages. Il y avait ce jour-là un stand de boucherie. Un père s'offusquait qu'on ait eu l'audace d'exposer ces morceaux de viande au regard des enfants. Mais c'est la réalité, monsieur, la réalité de notre civilisation.

La souffrance des animaux

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Une association, la L241, dénonce les cas de maltraitance animale dans les abattoirs français. Des films, prélevés en caméra cachée ont montré des sévices graves pratiqués sur des animaux, bovins, moutons, chevaux. Et que dire de cette obligation rituelle stupide qui commande d’égorger les animaux sans les étourdir au préalable, au nom du hallal ou du casher.  (Nous aurons l’occasion, ultérieurement, de dénoncer le formalisme de certaines croyances, la rigidité aveugle des "traditions")

 

      Citations du texte

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[1] Genèse 1/28

2] https://www.youtube.com/watch?v=OIzijKXUO_0

[3]http://www.dailymotion.com/video/x1um085_un-poulpe-ouvre-un-bocal-dans-lequel-il-etait-enferme_tv

[4]  BRUGUES Jean-Louis (o.p.), article « Animaux », in : Dictionnaire de morale catholique, C.L.D., Chambray, 1991, pp. 34 - 36.

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Le 24  novembre 2016

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