20 - Perdre des illusions et espérer quand même
Un esprit scientifique
Dans ce blog, nous avons résolument décidé d’avoir un esprit scientifique. Avoir un esprit scientifique, est à la portée de tous, même si nous n’avons pas de formation spécifiquement scientifique. Or, l'esprit véritablement scientifique refuse toute affirmation dogmatique, de quelque bord qu'elle vienne. La science s'appuie sur des hypothèses établies à partir de l'observation. Elle énonce des théories, toujours révisables. La connaissance scientifique a conscience de ses limites. Elle ne prétend pas tout savoir. Avoir un esprit dogmatique, c’est au contraire affirmer des connaissances qui ne peuvent être remises en question.
On pourrait humblement se dire que, n’ayant pas toutes les connaissances des grandes écoles de science (Polytechnique, Insa, etc.) chacun n’a plus qu’à se taire et renoncer à comprendre notre monde. C’est une erreur profonde. Les sources du savoir sont maintenant tellement démultipliées que personne ne peut prétendre tout savoir. Chaque scientifique, même le plus éminent, a des plages immenses d’ignorances. Et l’expérience montre qu’une formation scientifique ne préserve pas d’une forme de pensée qui n’a rien de scientifique. L’ésotérisme en fait partie. (On peut revoir, à ce sujet, l'article 3 :"Connaissance et croyance")
On aura compris que nous ne misons pas ici sur un cumul de savoir, jamais atteint par quiconque, mais sur une méthode de pensée. Mais, bien évidemment, le besoin de savoir ne doit pas s’arrêter, quel que soit notre niveau d’études et de connaissance
Nous avons essayé au cours de ces articles d’énoncer ce que l’on peut savoir, en faisant abstraction de toute affirmation péremptoire, en s’en tenant aux données de l’expérience, et en ayant conscience que si nos connaissances progressent, aucune n’est définitivement établie. C’est ainsi que nous avons abordé successivement les origines de la vie, celles de l’humanité, Et puis nous nous sommes demandé comment vivre heureux. A cette occasion, nous avons abordé la question des religions, de leur prétention à diriger notre vie et à donner des explications et un sens à notre vie. Les religions jouent un rôle important, en s’efforçant de combler le besoin de savoir et – pour certaines – d’amour de leurs fidèles. Mais elles sont inévitablement un frein à la connaissance, en apportant des explications basées sur des légendes ou des dogmes. Cà a été le cas pour la cosmologie (affaire Galilée), c’est encore le cas pour l’évolution de la vie et des espèces (Adam et Eve, créationnisme).
Les limites de la science. Une recherche sans limites
La science a fourni des réponses à de nombreuses questions, détrônant par là les divinités de leur pouvoir. Mais elle ne répond pas et ne prétend pas répondre à toutes les questions. Chaque réponse entraîne une nouvelle question. C'est le cas de la physique des particules, où la recherche s'efforce de découvrir les ultimes composants de la matière. C'est le cas en biologie. Que de découvertes depuis une centaine d'années. C'est le cas de la paléontologie, qui assemble péniblement les vestiges de nos origines, sans jamais prétendre donner de réponses définitives.
Les prévisions météorologiques ne sont possibles que sur quelques jours. Au-delà, c'est le chaos. C'est la même chose pour les prévisions cosmologiques concernant les mouvements des astres et des planètes. Il est impossible de calculer précisément la position des planètes au-delà de 60 millions d'années, déclare Jacques Laskar, astronome à l'observatoire de Paris. Avec Newton, les mathématiques sont rentrées dans l'astronomie, permettant des prévisions dans le mouvement des planètes. Mais voilà que le chaos est détecté dans le fonctionnement des planètes. Les perturbateurs, pour Laskar, (dans le système solaire) sont deux astéroïdes entre Mars et Jupiter provoquant une erreur dans les prévisions, qui s'amplifie avec le temps
En bref, dans la cosmologie ancienne, les planètes semblent animées d'un mouvement immuable et éternel, à l'image même de Dieu. En réalité, cette stabilité n'est perçue que sur un temps très court (quelques centaines d'années), ce qui à l'échelle de l'humanité permet d'avoir l'illusion d'une stabilité que peuvent décrire les mathématiques. Or, on sait au moins, que l'ensemble de l'univers est en expansion, depuis la phase chaude et dense du Bing Bang, il y a 14 milliards d'années. Pour s'en tenir au système solaire, on sait maintenant, depuis une vingtaine d'années, que le système solaire est chaotique. Il devient illusoire de prédire le mouvement des planètes au delà de 100 millions d'années.
Mémoire collective – L’arrivée d’Internet.
Au sommet de l'évolution de la vie, l'espèce humaine progresse dans la réalisation d'une connaissance et d'une mémoire collective. Une connaissance d'abord transmise oralement et inscrite dans une mémoire individuelle. "En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle"(Amadou Hampaté Bâ, écrivain malien). Avec l'arrivée de l'écriture se constitue, en divers endroits de la planète des zones de mémoire collective de la connaissance. Puis l'arrivée de l'image, et qui plus est, de l'image mobile, fournit à la connaissance scientifique et historique des possibilités considérables. La caméra existait déjà au cours de la Première Guerre mondiale. Elle s'affirme plus encore dans la Seconde Guerre mondiale, donnant des événements passés une connaissance qui était impossible auparavant.
L'arrivée d'Internet est une révolution. C’est la révolution du siècle dont nous ne mesurons pas encore les conséquences. Elle établit des milliards de connexions entre diverses sources d'information. Umberto Eco disait: "Si Dieu existait, ce serait une bibliothèque". Peut-être Internet est-il la figure d'un dieu moderne (mais seulement la figure). Internet est devenu la communauté des hommes, où chacun peut se relier à chacun et à tous, avec très peu de limitations morales, et la possibilité d'exprimer tout et n'importe quoi. On pourrait voir dans Internet la réalisation de la "noosphère", telle que l’exprimait Teilhard de Chardin, la sphère de l'esprit (νοῦς), de la connaissance destinée à rejoindre l’esprit de la divinité. Ce serait une erreur totale, car internet dans sa profusion, et sa multiplicité échappe complètement à toute idée de direction et d'unité, telle qu'elle était émise par Teilhard.
Le développement d'Internet évoque plus l'idée d'un foisonnement anarchique tel qu'il apparaît dans la vie, et dont la décantation n'est pas prévisible. Internet est un dieu multiple, qui répond à toutes les questions, sans garantie d'authenticité, capable d'établir (sauf contraintes techniques et blocages volontaires) n'importe quelle connexion avec n'importe quel individu qui rentre dans son domaine.
L’idée de progrès. L’ombre de la mort.
Progrès personnel, progrès collectif.
L’idée de progrès est une constante chez plusieurs philosophes qui se distinguent ainsi d’une conception plutôt statique du monde et de la vie (Platon, Aristote, St Thomas d’Aquin….). Hegel, Marx, concoivent l’histoire de l’humanité comme une progression vers une fin. L’évolutionnisme se borne à constater les différentes phases de la vie, et se dégage de toute philosophie de progrès. Le créationnisme - au contraire – suggère qu’un programme dirige l’évolution de la vie, et des hommes en particulier, faisant ainsi l’impasse sur les accidents nombreux et souvent mortels qui sont intervenus dans cette histoire.
Avant d’être une histoire collective, l’histoire de la vie est d’abord une histoire individuelle, l’histoire de ma propre vie, qui se terminera inéluctablement à ma mort.
Avant sa naissance et la croissance de son esprit, chaque humain n'était rien. Après sa mort, il n'est rien. Pyramides, tombeaux, arcs de triomphe, œuvres artistiques perpétuent le souvenir du mort dans la conscience de ses successeurs. Mais ils ne le perpétuent pas, lui.
Chaque mort d'un être conscient est une fin du monde. Car si l'on sait bien que le monde - probablement - continuera sans nous, un monde sans conscience de son existence n'a plus de sens. Certes, d'autres êtres conscients continueront de percevoir le monde. Mais pour chacun le monde n'existera pas ou n'existe plus. Ici apparaît le vieux débat entre réalisme et subjectivisme, débat dans lequel nous ne souhaitons pas entrer. Le monde existe-t-il en dehors de la conscience qui le perçoit? Positivisme, réalisme, antiréalisme, nous laisserons de côté ce genre de réflexions, pour nous en tenir au banal "bon sens", la chose la plus partagée au monde, mais aussi la plus contestable. Et qu'importe ? Les quelques connaissances que nous avons pu accumuler, surtout depuis quelques dizaines d'années, ne nous laissent aucun doute à la fois sur leur fragilité et sur leur correspondance, même limitées, avec le monde réel. L'évolution du vivant - pour nous en tenir à lui - a laissé des traces qui sont repérables. Le champ de nos connaissances est restreint à la fois par nos moyens d'investigation et par la limite de notre existence.
Manifestement, je connais plus de choses sur notre monde que mon père ou mon grand-père. Et beaucoup moins que la majorité des scientifiques contemporains. Leurs successeurs, à moins qu'une catastrophe détruise,demain, l'humanité, seront eux-mêmes beaucoup plus instruits sur le monde, dans un champ de connaissances possibles qui n'a pas de limites. L'existence ancienne des premiers humanoïdes puis des premiers hommes, dont on découvre de plus en plus la trace par l'archéologie et la biologie, ne fait aucun doute pour moi. Le doute ne peut provenir que d'une mentalité dogmatique qui impose des croyances.
À la lumière des connaissances actuelles, il est certain que la disparition collective de l'humanité surviendra. Les occasions de cette disparition ne manquent pas. La terre est bombardée en permanence par des météorites plus ou moins grosses, qui, pour la plupart, se consument dans l'atmosphère. Le 15 février 2013, une météorite s'abattait à 9 h 25 sur une cité industrielle de l'Oural, Tcheliabinsk. Un petit rocher d'une vingtaine de mètres de diamètre, de 10 à 12 000 tonnes. Mais d'une puissance équivalente à trois fois la puissance de la bombe d'Hiroshima. Elle n'a pas été détectée par les astronomes avant son impact
La météorite qui a tué les dinosaures et autres espèces animales, mesurait 10 km de diamètre. L'énergie dissipée correspondait à 5 milliards de bombes d'Hiroshima. Une telle météorite serait à coup sûr détectée longtemps avant son impact par les astronomes, mais, malgré les scénarios envisagés pour la détruire (bombe atomique envoyée à sa rencontre ?), la terre verrait de nouveau disparaître presque toute espèce de vie, dont la nôtre.
Et puis on peut compter sur l'homme, ses bombes atomiques, sa pollution qui tue la vie à petit feu.
Mais, à la réflexion, pour chacun de nous, mourir individuellement d'une maladie, d'un accident de la route ou collectivement d'une catastrophe planétaire, quelle différence ?
Perdre des illusions et espérer quand même
Une conception évolutionniste de la vie et de l'univers nous dégage de tout providentialisme, de toute croyance dans un progrès conçu comme inéluctable. Dans un avenir immédiat, tout peut arriver. Et dans un avenir lointain rien n'échappe à un phénomène qui régit l'univers et qu'on appelle l'"entropie". Ce principe, à l'origine, concerne l'échange thermique qui égalise les températures, qui transforme l'énergie en chaleur. Mais le principe de l'entropie a pris une extension plus large et moins quantifiable. Rien ne se perd et rien ne se crée. Tout se dégrade et se transforme. La vie, en fabriquant de l'information, est ce qui résiste - temporairement - à l'entropie, en créant des structures ordonnées de résistance à la dégradation. La mort, c'est la disparition de l'information et le retour à l'entropie. Chacun de nous expérimente dans son corps un retour à l'entropie, qui se manifeste par une dégradation progressive de ses fonctions, articulaires, cardiaques, cognitives. On peut freiner avec succès le retour à l'entropie, mais il est inéluctable.
Le métissage culturel
Dans l'immédiat, il faut vivre au mieux dans une société multiculturelle. Et il s'agit bien sûr des diversités de cultures entre gens issus de religions et de croyances différentes, mais aussi de diversités culturelles ente jeunes et anciens.
Les jeunes et les vieux.
Plus le temps passe et plus je sens que se crée une distance entre les générations, mais avec un peu de bonne volonté, et sans prétendre partager toutes les expériences, les générations peuvent se rejoindre et bénéficier de l'apport de chacun. Les générations nouvelles bénéficient d'un environnement et de liens qui, dans mon enfance et ma jeunesse, étaient inimaginables.
Enfant, ma famille n'avait même pas la radio. J'avais une douzaine d'années lorsque j'ai découvert les images floues des premières télévisions, en démonstration à la foire d'Arpajon. Les langues étrangères, lorsque j'étais au collège, s'apprenaient comme les langues mortes, et ce que je n'ai pas acquis dans les premières années de mon enfance est difficilement rattrapable.
Aujourd'hui, à peu près n'importe quel jeune interrogé à la TV parle (presque) couramment l'anglais, se déplace dans plusieurs pays. Quant à l'informatique, qui a commencé sa percée dans le grand public des années 80, elle fait partie de l'univers des jeunes générations actuelles. Dépassés. La plupart des gens de mon âge sont dépassés par les capacités et les moyens dont disposent les jeunes générations. Et je constate que la majorité des jeunes actuels sont très tolérants vis-à-vis des anciens. Probablement plus que nous ne l'étions nous-mêmes vis-à-vis des générations précédentes. Le réalisme nous contraint à reconnaître ces différences. C'est en les assumant et en essayant malgré tout de progresser que nous pouvons réellement partager entre les générations. Sinon, on s'expose au ridicule. Il m'arrive parfois de rencontrer certains personnages que j'appelle des "anciens jeunes", des gens qui tentent de singer, par leur costume, leur langage, une génération qui n'est plus la leur. Ce sont souvent des femmes, mais il y a aussi des hommes, notamment des hommes politiques.
La laïcité
La notion de laïcité est capitale pour réaliser l'entente entre populations diverses. La laïcité exclut toute tentative de domination d'une société ou d'une croyance sur les autres.
Cette conception de la laïcité est tacitement admise par la majorité des populations occidentales, même si certains leaders religieux la trouvent incompatible avec leurs croyances, basées sur une vision hégémonique de la religion. Il faut à la fois réfuter fermement toute tentative de domination, et faire confiance aux populations qui vivent en harmonie avec leurs voisins. En, Algérie, avant que s'amplifie la guerre, de nombreux témoignages rapportent l'entente fraternelle entre populations arabes, pied-noir, juives.
Il n'est pas difficile de trouver des prétentions hégémoniques chez les responsables musulmans. Et, malheureusement, on ne trouve à peu près jamais des musulmans pour s'opposer à cette tendance des salafistes partisans d'une lutte de civilisation dans laquelle ils espèrent en sortir vainqueurs. Devant ces prétentions, on ne peut pas être faibles. La laïcité n'est pas une religion. Elle est basée sur la tolérance. Mais on ne peut pas tolérer l'intolérance
"Si vos opinions vous autorisent à me haïr, pourquoi mes opinions ne m’autoriseront-elles pas à vous haïr aussi ? Si vous criez : c’est moi qui ai la vérité de mon côté, je crierai aussi haut que vous : c’est moi qui ai la vérité de mon côté ; mais j’ajouterai : et qu’importe qui se trompe ou de vous ou de moi, pourvu que la paix soit entre nous ? Si je suis aveugle, faut-il que vous frappiez un aveugle au visage ?" [1]
Le site "Oumma.com", qui cite ce texte, est généralement modéré et ouvert. Il pense trouver dans le Coran lui-même une réponse positive à la question de Diderot. Pourquoi pas, si l'on fait abstraction d'autres textes beaucoup moins ... laïques.
Ce que l'on peut espérer pour l'avenir, c'est une cohabitation pacifique entre les croyances et les connaissances. Mais là comme ailleurs, rien n'est écrit d'avance. Face à un islam intolérant et meurtrier, il n'y a guère d'autre solution que de le combattre par les armes. Face à un islam qui aurait éliminé de ses préceptes ses éléments les plus criminogènes, après avoir révisé ses racines, la cohabitation serait possible. Et même s'il subsiste des croyances qui ne sont pas en harmonie avec nos propres connaissances, cela n'a aucune importance. (Origines de l'humanité, monde céleste, etc.)
Je voudrais, pour terminer, souligner l’action de Abdelghani, le frère de Mohamed Merah, (le meurtrier de 7 personnes, dont 3 enfants). Après une vie familiale chaotique et parfois dangereuse qui l’oppose aux tendances radicales de sa famille, il entreprend aujourd’hui une marche à travers la France pour déradicaliser les jeunes qui verraient un héros dans la personne de son frère.
Ce garçon donne de l’espoir et de l’amour
[1] Diderot - Lettre à mon frère - 29 décembre 1760
Le 2 mars 2017