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Souvenir d'un cadeau de Noël - 1945

Le Mécano en cadeau

(Extrait de mon livre, « Papa est au ciel »)

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L'oreille collée devant le poste de radio de ses cousins, René (6 ans) écoute une émission de variété à Radio Luxembourg. Comme d'habitude, la cousine Laurence lui apporte quelques friandises sur une assiette. Et cette fois-ci elle a un moment d'émotion et de faiblesse.

     - Tu sais, René, tu me rappelles mon fils Henri…   

 Un peu gêné, René demande :

     - Ca fait combien de temps qu'il est mort ?

     - Plus de dix ans. Il avait 20 ans.

     - Et on n'a pas pu le guérir ?

    - On a vu toutes sortes de médecins, à Lyon et même à Paris. À Lyon on l'a opéré du cerveau, mais ça ne l'a pas guéri, au contraire. Il a beaucoup souffert… C'était effrayant.

   

     Et la cousine Laurence retire ses lunettes pour essuyer des larmes. René ressent de l'affection et de la pitié pour cette femme qui a souffert et qui vit maintenant seule avec son mari bientôt à la retraite.

      Le cousin Arsène lève les yeux de son journal :

      -  Allez, Laurence, ça sert à rien de se faire du mauvais sang.

      Puis pris d'une inspiration subite il dit :

    - Tiens, René, toi qui aimes bien bricoler, je vais te montrer quelque chose.

    Il se dirige vers le hangar où il range sa voiture et revient avec une grande boite en bois, en forme de pupitre, et dont le couvercle est équipé d'une vitre. À l’intérieur il y a une foule d'objets métalliques : des écrous et des boulons, des plaques trouées rouges et bleues, des poulies, des traverses, et même deux petits moteurs à ressort. Sur l'avant de la caisse est collée une étiquette sur laquelle est écrit en gros : "Mécano". René est émerveillé. Comme il voudrait avoir tout cela ! Comme il passerait des heures à construire des voitures, des grues, des tracteurs… Mais bien sûr ce n'est qu'un rêve, car les parents d'Henri conservent pieusement cette relique de leur fils.

      Quelques jours avant Noël, René aperçoit dans un magasin une boîte de carton pleine de couleurs et sur laquelle il reconnaît la représentation d'éléments identiques à ceux qu'il a vus chez la cousine Laurence. Le même sigle "Mécano" y figure.

  • Maman, je voudrais bien avoir une boîte de Mécano. Tu sais, c'est le même jeu que celui du cousin Arsène… Mais il y en a beaucoup moins.

  • Ca coûte trop cher. Je n'ai pas les moyens de t'offrir un tel jouet.

    Jusqu'au Noël précédent, c'était "le petit Jésus" qui apportait les cadeaux.  Et puis la veille de la fête, les enfants avaient surpris leur mère en train de cacher des jouets dans un placard. Aussi le petit Jésus avait-il souffert d'un sérieux discrédit. Ce qu'il avait fourni jusqu'à présent était d'ailleurs extrêmement modeste, attestant par là qu'il était lui aussi soumis aux restrictions de la guerre et de ses conséquences.

 

       Ce ne fut donc pas le petit Jésus qui apporta la boite de Mécano cette année-là. Germaine n'aurait pas pu offrir à son fils un tel jouet, les cadeaux de Noël provenant généralement des dons de l'association des Veuves de Guerre. Elle avait organisé une veillée et un repas de Noël, après la messe de minuit, veillée que partageaient "Mamie" et "Jo", un couple sans enfant qui apportait à Germaine un soutien moral important. Leur surnom, à l'usage des enfants, était dû à la grande familiarité qu'ils avaient acquise avec la famille Terrier. Les invités avaient apporté le dessert, constitué d'une grosse tarte aux pommes. Ils avaient amené aussi de mystérieux paquets qui étaient restés dans leur sac pendant tout le repas. Au dessert, le sac avait été ouvert, et un paquet avait été remis à chacun des enfants. Bernard avait eu un puzzle. Et René avait reçu la boite de Mécano tant désirée.

Ce fut une grande joie et les tentatives de construction, commencées immédiatement, occupèrent de nombreuses heures les jours suivants. Compte tenu du peu de pièces présentes, les réalisations restaient limitées, et René pensait avec nostalgie à cette fabuleuse boite qu'il avait vue chez la cousine Laurence. Ah ! s'il pouvait avoir un jour une boîte semblable, ce serait merveilleux.

      Et puis, un jour, le miracle arriva. À travers la porte vitrée de la cuisine, René vit arriver le cousin Arsène avec une boîte qu'il identifia tout de suite comme étant celle qu'il avait repérée quelques mois plus tôt. Son cœur s'accéléra. Est-ce qu'il venait donner cette boîte ? Le cousin Arsène entra dans la cuisine sans un mot et déposa la boite sur la table. Philomène, muette, regardait la scène, et René n'osait rien dire, de peur de détruire un espoir ou de commettre une erreur d'interprétation. Arsène enfin parla :

  • Avec Laurence on a bien réfléchi. Cette boîte appartenait à Henri. Mais maintenant Henri n'est plus, et elle ne nous sert à rien sinon à prolonger des souvenirs. Elle te sera beaucoup plus utile à toi René… Tiens, prends. Elle est à toi !

   Philomène (la grand-mère) sourit émue, et s'adressant au cousin Arsène elle lui dit simplement :

  • Merci… Vous faites un enfant heureux… René, tu peux embrasser ton cousin.

     René tout joyeux se précipita au cou du cousin Arsène. Elle piquait la joue de cet homme bourru et parfois grossier ! Et il y avait sans doute bien longtemps qu'il n'avait pas été embrassé avec tant de fougue par un enfant.

Arsène et Laurence avaient compris que la vie était plus importante que les souvenirs, même les souvenirs douloureux. Quelle meilleure façon de rendre vivant le souvenir de leur fils que de le matérialiser dans la créativité de leur petit-cousin ?

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