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6 - L'Horloge et l'Horloger

                            (ce chapitre est la suite des 4 précédents)

   La formation d’organismes complexes peut-elle s’expliquer par les aléas de la reproduction du vivant et la sélection naturelle, sans autres interventions ?

Si l’on admet que les variations dans la reproduction sont le fruit du hasard, le hasard serait le véritable moteur de l’évolution.

Difficile à admettre, L'organisation  du vivant paraît tellement bien structurée, tellement bien adaptée que, depuis longtemps, les philosophes ont émis l'hypothèse  d'un grand horloger, réalisant les organismes vivants selon un plan préétabli. L'idée d'un grand horloger, d'un grand architecte sera présente à l'époque des Lumières par le déisme et la franc-maçonnerie. On se rappelle le culte de l'Etre Suprême, développé par Robespierre

Voltaire disait:

 "L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait point d'horloger."

 

   L'idée d'une horloge suggère déjà une structure, et c'est peut-être un progrès. Reste à savoir comment s'est organisée cette structure. Avec l'arrivée de l'évolutionnisme l'idée d'une intelligence supérieure qui organiserait cette structure est mise de côté. Une mise à l'écart qui était déjà présente chez Laplace (pourtant croyant), pionnier de l'astronomie mathématique, qui expliquait à Napoléon son "Système du monde". À une question de Napoléon sur la place de Dieu dans ce système, Laplace aurait répondu : "Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse". C'est un peu la même chose avec la théorie de l'évolutionnisme. Le vivant évolue selon ses propres ressources et selon son milieu, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à autre chose que le vivant lui-même et à son environnement.

   Un système complexe, tel que l’œil, ne peut naître – spontanément – du hasard. Et ceux qui l’affirment ont raison. Mais au facteur « hasard » s’ajoute un facteur capital :

le temps, qui cumule sur de très longues périodes des petites modifications et qui en élimine d’autres. Les petites  variations dans le vivant sont spontanées. Mais les organismes complexes ne naissent jamais spontanément. Ils nécessitent des millions, voire des milliards d’années.

   L’exemple fréquent fourni par les créationnistes pour réfuter le rôle du hasard est celui de l’œil.

   « l'œil est un organe très complexe et parfaitement conçu. Il est fait de 40 composants et ne peut pas fonctionner si l'un de ces composants vient à manquer. Tous ces composants ont des détails tellement compliqués qu'il leur est impossible de se produire par hasard. Si seulement l'un d'entre eux, les lentilles par exemple, manquait, l'œil ne pourrait pas fonctionner, de même si les lentilles et la pupille échangeaient leurs positions. »[1]

   « La structure d'un œil peut être comparée à celle d'une voiture. Plusieurs pièces forment une voiture. Si toutes ces pièces sont réunies mais qu'il manque l'accélérateur, vous ne serez pas capables de la conduire. Si un des fils du moteur est coupé, la voiture ne bougera pas. Les yeux, comme une voiture, ne peuvent pas fonctionner si une seule pièce manque. »[2]

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   Ces arguments ne tiennent pas compte du facteur temps. Car les voitures de notre époque ne sont pas nées spontanément dans le cerveau d’un ingénieur. Elles bénéficient d’une longue histoire (très longue pour l’histoire de l’humanité, mais très courte pour l’histoire de la vie) qui a cumulé des solutions, en a éliminé d’autres, passant de la découverte de la roue au char à bœuf, au moteur à vapeur, et aux premiers moteurs à explosion, bientôt remplacés par le moteur électrique et peut-être un jour le moteur atomique.

Mais revenons à la sélection naturelle, appliquée à l’œil :

   La sélection naturelle est cumulative. Le phénomène complexe est le résultat de l'accumulation de petits événements, même infimes, qui se sont produits au cours de temps très longs, voire de milliards d'années. Lorsqu'un petit événement mutationnel - dans un milieu donné - est défavorable à un organisme vivant, il minimise les chances de survie de cet ensemble, peut-être de façon limitée, mais qui pourrait cumuler avec d'autres événements défavorables. Inversement les événements favorables pourraient aussi cumuler et renforcer les chances de survie de l'individu vivant.

Les créationnistes considèrent un système complexe évolué, sinon fini. Par exemple, l'œil ou l'aile. Ou l'œil voit, ou il ne voit pas. Ou l'aile vole ou elle ne vole pas. Ils n'imaginent pas d'étapes intermédiaires,  façonnées par un temps très long. Or, ces étapes intermédiaires  observées en paléontologie, on les retrouve en grande partie chez les organismes actuels, par exemple chez l'escargot, dont l'œil élémentaire ne distingue que des variations d'ombre et de lumière. ou certains mollusques équipés d'un organe visuel tout à fait analogue à une simple chambre noire. Restons en aux vivants actuels. Dans un contexte créationniste, certaines particularités de la morphologie des animaux, nous compris, n'ont pas de sens. Ce sont les organes vestigiaux, restes d'organes autrefois développés et fonctionnels. Ainsi, les ailes de l'autruche, qui ne lui permettent pas de voler. Ou celles des pingouins qui font maintenant office de nageoire. Ou encore celles des kiwis, oiseaux complètement terrestres, qui n'ont plus que des moignons d'ailes repliées sous le plumage.

   Pour les créationnistes, l'œil est l'exemple démontrant une "complexité irréductible". Démontrer que l'œil, au cours de l'histoire de la vie,  a pu se développer progressivement était assez difficile en s'en tenant aux données paléontologiques. Si les paléontologues peuvent étudier assez facilement l'évolution des os, il n'en est pas de même pour des tissus mous, comme l'œil, qui ne laissent guère de traces. Cependant, en étudiant la formation de l'œil chez l'embryon, et en comparant les divers types d'œil dans les différentes espèces actuelles, les biologistes ont pu reconstituer le moment où sont apparues ses caractéristiques principales. L'œil des vertébrés, le plus perfectionné,  s'est élaboré en moins d'une centaine de millions d'années, un temps relativement court, puisque les origines de la vie remonteraient à un peu plus de 4 milliards d'années.  Mais en 100 millions d’années, beaucoup de chose peuvent se produire.      La structure de l’oeil, tel que nous le connaissons aujourd’hui, se serait élaborée par une succession de petites étapes, à partir d'un organe basique de détection de la lumière. On trouve chez certains invertébrés des "ocelles", simples taches oculaires sensibles à la lumière. Chez les gastéropodes (escargots), des ocelles sont situés à l'extrémité de leurs tentacules, et ont pour fonction élémentaire de distinguer la lumière de l'obscurité. De la simple détection de la lumière à la formation d'une image et à son interprétation par un système central,  il y a bien sûr une complexification importante. Mais on peut trouver diverses étapes de cette complexification chez plusieurs animaux existants actuellement. Exemple : Chez certains mollusques, la surface sensible  s'invagine pour former une chambre remplie d'eau, comportant un petit orifice, par lequel se forme une image, selon le principe de la chambre noire. Pour chaque espèce, le perfectionnement de la détection de la lumière puis de la formation d'une image - avec des organes plus complexes, cristallin, cornée, rétine - a apporté un avantage dans  son adaptation au milieu. Pour autant, l'œil n'est pas un organe parfait. Les oiseaux ont des yeux plus perfectionnés que ceux des humains. Et les hommes ont complété notre organe déficient par de la technologie d'abord élémentaire (lunettes) puis plus élaborées (appareils photo, caméras).

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Voir ci-contre le modèle théorique de l’évolution de l’œil.

   "La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l'objectivité de la nature. c'est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance "vraie" toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c'est-à-dire de "projet".... L'objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que, dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde."  [3]   

   "La sélection opère en effet sur les produits du hasard, et ne peut s'alimenter ailleurs; mais elle opère dans un domaine d'exigences rigoureuses dont le hasard est banni. C'est de ces exigences et non du hasard que l'évolution a tiré ses orientations généralement ascendantes, ses conquêtes successives, l'épanouissement ordonné dont elle semble donner l'image " [4]

   Monod se défend de parler de finalité, un terme qu'il remplace par celui de "téléonomie". Pour les tenants du "dessein divin", c'est l'aveu tacite d'une finalité.

Guy Delaporte, dans le blog du "Grand Portail Thomas d'Aquin", écrit:

   "On a fréquemment le sentiment diffus qu’à force de rejeter toute intentionnalité dans la nature, la « sélection naturelle » se voit promue au rang de providence abstraite. Pour que le savant puisse parler de progrès, d’adaptation, de performance, d’enrichissement, de complexité croissante, il doit supposer une « bonne » et une « mauvaise » mutation, arbitrée par un juge qui connaît le bien et le mal dans la nature : cette fameuse « sélection ». Sinon, on ne voit pas bien pourquoi il serait plus « évolué » de continuer à vivre, plutôt que de disparaître....

Une question demeure, que nous avons déjà évoquée : d’où vient le code génétique élémentaire ? L’a priori de méthode nous laisse a priori sans réponse, car on ne peut remonter au-delà de l’élément premier. La science devrait s’en tenir là et considérer que cette question sort de son domaine. Elle devrait affirmer qu’elle ne peut ni ne veut y répondre."

"Que le hasard soit l’explication première des choses et des êtres, voilà qui est parfaitement impossible, irrationnel et non scientifique. Il est toujours précédé de la nécessité. Monod le signifie d’ailleurs dans la définition qu’il donne en parlant de « chaînes de causalité » à l’origine d’une rencontre aléatoire. Le hasard est toujours l’épiphénomène d’une téléonomie, et non l’inverse."

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   L'auteur (créationniste) de l'article  ne nie pas le rôle du hasard, mais fixe son attention sur la nécessité qui en gère les effets. Et dans cette alternance hasard/nécessité, il refuse de donner la priorité au hasard. Reprenant le thème bien connu de l'œuf et de la poule, il écrit:

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   "Sommes-nous face au vieux paradoxe de l’œuf et de la poule ? Monod nous le suggère lui-même en rappelant l’adage biologique : « omne vivum ex ovo ».Quelles sont les raisons qui lui interdisent de poser la poule, autrement dit l’organisme adulte, à la source de la vie, pour préférer l’œuf, c’est à dire l’ « appariement spontané » ? " [6]

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   L'auteur aristotélicien de l'article ne peut supposer que le code génétique, organisateur du vivant, puisse être lui-même issu de mutations successives, sur de longues périodes, à partir de structures biologiques élémentaires.

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Pour Monod, le système génétique n'est pas le moteur de l'évolution, il n'est que "le conservatoire du hasard".

   "Pour la théorie moderne, l'évolution n'est nullement une propriété des êtres vivants, puisqu'elle a sa racine dans les imperfections mêmes du mécanisme conservateur qui, lui, constitue bien leur unique privilège. Il faut donc dire que la même source de perturbations, de "bruit" qui, dans un système non vivant, c'est-à-dire non réplicatif, abolirait peu à peu toute structure, est à l'origine de l'évolution dans la biosphère, et rend compte de sa totale liberté créatrice, grâce à ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu'à la musique : la structure réplicative de l'ADN"[1]

   En examinant simplement l'histoire de la vie, on peut s'apercevoir que le "grand horloger", s’il existe, a eu et a encore quelques périodes de « fading » (effondrement, affaiblissement) plus qu'inquiétantes pour quelqu'un qui aurait un projet bien défini. Et pendant ces périodes, c'est un vrai "miracle" que quelques pièces de l'horloge aient pu subsister. Comment concilier la finalité de la "création" avec les extinctions de masse, plus de 6, qui n'ont laissé sur notre terre que quelques survivants. Nous humains sommes probablement les lointains descendants de rares  reptiles mammaliens [5], qui, au moment de l'extinction des dinosaures, avaient la chance d'être petits et de  pouvoir développer une survie souterraine avant de retrouver une vie terrestre devenue plus saine. Ouf ! Comment, de nos jours, concilier la finalité supposée actuelle de cette création avec les tsunamis, tremblements de terre, météorites,  et autres catastrophes naturelles. (Comment concilier les catastrophes sismiques qui surviennent ces jours-ci en Italie, avec une finalité ?)  Et à l’analyse, on s’aperçoit que rien dans le vivant n’obéit à une stricte finalité. Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, c’est plutôt le chaos qui préside à l’évolution du vivant, et c’est du chaos que naît l’organisation. Certains théologiens admettent le hasard comme une réalité, mais lui superposent une finalité, évidemment divine. Toutes les catastrophes, parfois gigantesques, qui sont survenues et qui surviennent encore dans l'histoire de la vie, sont plus que des "épiphénomènes". Rayer de la carte de la vie des espèces qui ont subsisté pendant 170 millions d'années, ce n'est pas un phénomène marginal. Le hasard est plus qu'une épine dans la gestion providentielle  du monde, c'est un facteur dominant. Pour s’en tenir à la vie actuelle, il n’est pas difficile de constater des événements qui ne sont pas en faveur d’un « dessein intelligent », et qui, échappant à la sélection naturelle immédiate révèlent des fantaisies « architecturales » qui ne sont pas le fait d’une intelligence supérieure, mais relèvent d’un hasard parfois cruel. La génération du vivant produit des constitutions, des formes, qui ne prêchent pas en faveur d’un « dessein intelligent ». La trisomie 21 (mongolisme) est provoquée par une erreur de programmation relativement bénigne par rapport à d’autres que l’on a tendance à qualifier de monstrueuses. Alors, si on accepte le hasard dans cette gestion plutôt chaotique, pourquoi ne pas voir l'action divine comme un épiphénomène de l'imagination - et de l'imagination seule - tellement superfétatoire (épi=super), qu'on finit par l'oublier comme une construction provisoire de l'esprit.

Abigail et Britanny, sœurs siamoises :

2 têtes – 2 cœurs – 3 reins – 2 bras–

2 jambes – 1 foie – 2 estomacs – 1 vessie

Une programmation fantaisiste ?

Progeria : vieillissement précoce.

Espérance de vie : 12 – 13 ans

Abigail et Britanny, sœurs siamoises :

2 têtes – 2 cœurs – 3 reins – 2 bras–

2 jambes – 1 foie – 2 estomacs – 1 vessie

Abigail et Britanny, sœurs siamoises :

2 têtes – 2 cœurs – 3 reins – 2 bras–

2 jambes – 1 foie – 2 estomacs – 1 vessie

La théorie constructale.[7]

                                                                                 

   Elle peut apporter plus de compréhension sur le mécanisme de l'évolution.

Cette théorie, développée par un chercheur américain, Adrian Bejean, développe une méthode simple et logique pour concevoir le plan le plus parfait d'une machine. La méthode est d'abord appliquée à un système de refroidissement . Au lieu de traiter le problème de façon globale, la méthode part de la plus petite unité capable de dissiper la chaleur. Plutôt que de chercher à créer une machine parfaite, elle s'applique à "répartir l'imperfection". L'ingénieur constructal commence par étudier la géométrie de la plus petite surface rectangulaire capable de dissiper au mieux la chaleur. Les mathématiques appliquées à la conduction thermique sont connues (équations de Fourier) et permettent de déterminer la forme et l'épaisseur les plus adaptées à cette dissipation. (Pour l'évolution du vivant, c'est la sélection naturelle qui remplacera les mathématiques). Dans une 2ème étape, l'ingénieur relie plusieurs de ces surfaces élémentaires en un mini réseau. Puis il augmente progressivement les échelles jusqu'au volume souhaité, formant ainsi une arborescence répartissant les résistances pour une dissipation thermique la moins imparfaite possible. Cette méthode est révolutionnaire en ce qu'elle part du plus petit vers le plus gros. La structure macroscopique globale s'élabore à partir de structures élémentaires.

   Et si la nature procédait de la même façon ? L'évolution sélectionne au fur et à mesure les formes les plus adaptées. Et elle prend son temps. Un temps qui se compte en milliards d'années.

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Les fractales

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(J'invite les mathématiciens à creuser ce sujet)

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   Objets mathématiques irrationnels les fractales trouvent leur application dans l'observation de la nature. .C’est en effet le phénomène de hasard qui régit la formation des fractales dans la nature :On trouvera ci-joint un excellent article de l’université de Provence sur les fractales et sur leur occurrence dans la nature (géologie, monde vivant).

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Cliquer sur            pour télécharger le fichier PDF.Vous le trouverez au bas de votre écran.

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Les fractales

La feuille de fougère,

construction fractale de la nature

Citations du texte

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[1] http://m.harunyahya.fr/ Dans notre blog, Nous rencontrerons plusieurs fois ce philosophe turc, défenseur du créationnisme

[2] idem

[3]  Monod Le hasard et la nécessité, p 37-38

[4]  idem  p. 155

[5] mammaliens: reptiles qui ont prospéré au Permien, et qui avaient des caractères de mammifères.

[6]  http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Articles/Hasard.pdf

[7] Théorie exposée dans Sciences et Vie, Novembre 2003

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Le 3 novembre 2016

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